Résumé :
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Les acides gras (AGs) sont impliqués dans de nombreuses fonctions biologiques, allant de la composition des membranes cellulaires au stockage de l’énergie, en passant par la biosynthèse des hormones. En terme de santé publique, les conséquences d'une surconsommation en AGs sont très préoccupantes, l’OMS estimant que 2.8 millions de décès par an sont dus à l'obésité et à ses effets secondaires. Si le métabolisme lipidique est relativement bien connu, les mécanismes sous-jacents à la détection et à la préférence pour les AGs restent peu étudiés. Quelques études ont montré que la préférence des mammifères pour les AGs est modifiée par une exposition précoce à ces composés, mais peu de choses sont connues concernant les effets à long terme (intergénérationnel) d'une exposition aux AGs sur leur perception et le comportement alimentaire. La majorité des études ont été réalisées sur les mammifères ; les invertébrés, comme la Drosophile, ont été délaissés malgré ses avantages (durée du cycle de développement, facilité d'élevage, outils génétiques) et malgré la bonne conservation des acteurs du métabolisme lipidique au cours de l’évolution. Il a été récemment montré, dans notre laboratoire, que les larves et les adultes de Drosophila melanogaster sont capables de détecter et de discriminer les AGs en fonction de leur insaturation, et que leurs préférences sont différentes : les larves sont attirées par les AGs insaturés et repoussées par les AGs saturés alors que les adultes sont repoussés par les AGs insaturés et indifférents aux AGs saturés. Il a été suggéré que cette évolution des préférences pourrait refléter des besoins métaboliques différents chez la larve et chez l'adulte. Durant ma thèse, j'ai étudié les conséquences intra- et intergénérationnelles d’une exposition, à un milieu enrichi en AG saturé (acide stéarique = C18:0) ou en AG insaturé (acide oléique = C18:1), sur les préférences larvaires et adultes (choix du site d'oviposition) ainsi que sur différents traits de vie. J’ai également étudié l'évolution des préférences larvaires et adultes pour ces deux AGs à l’aide de deux procédures de sélection. Mes résultats montrent que, si les processus de sélections ne modifient pas durablement les préférences des individus envers les deux AGs utilisés, le comportement d'individus exposés, soit ponctuellement durant leur développement, soit de manière permanente sur une à dix générations, est affecté par cette exposition. C’est ainsi que le choix du site de ponte par les femelles est modifié spécifiquement suite à une exposition au C18:0 ou au C18:1 durant leur développement larvaire. Si l'influence d'une expérience sensorielle précoce sur les préférences alimentaires de l'adulte avait déjà été mise en évidence chez certains mammifères et quelques insectes holométaboles (dont le système nerveux est presque complètement remanié durant la métamorphose), c'est la première fois qu'un tel phénomène est clairement démontré chez la Drosophile. D'autre part, une exposition permanente à chacun des AGs modifie durablement à la fois les préférences d'oviposition et certains traits de vie majeurs (durée de développement, sex-ratio, fécondité et survie adulte). Ces résultats suggèrent que la Drosophile est capable de s'adapter à des nourritures variées et que cette plasticité, vraisemblablement déterminée génétiquement, pourrait expliquer le succès de cette espèce généraliste. Outre leur intérêt "écologique", ces résultats démontrent aussi l'intérêt de ce modèle pour l'étude de la plasticité intra- et inter-générationelle des préférences envers les AGs.
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